un musée dans la caverne

un musée dans la caverne

Birkenau

Ce lieu n'est pas un endroit touristique ni un pèlerinage culturel. Il s'agit à la fois d'un tombeau et d'un lieu de martyre, les restes de ce qui fut à la fois un camp de concentration et un camp d'extermination, le genre d'endroit où nul n'a envie de venir.

 

C'est un lieu un peu vide. Passé le portail, là même où la voie ferrée entrait dans le camp pour y déverser ceux qui n'étaient pas déjà morts dans les wagons pendant le voyage, on fait face à une plaine dans laquelle, à droite, se trouvent des baraquements de bois, et plus loin sur la gauche, des baraquements en brique. La voie ferrée avance loin dans le camp. C'est grand, il va falloir marcher longtemps pour en faire le tour.

 

Il ne reste pas grand chose de l'horreur que le guide explique. On marche sur le quai, là où la sélection avait lieu, et il n'y a personne, juste ce quai. On entre dans les baraques, on voit les paillasses reconstituées, on peut s'imaginer la souffrance. Mais les latrines ne puent pas, aujourd'hui, on a des chaussures pour marcher dans la neige, on a mangé ce matin avant de venir donc les phrases humiliantes sur les murs des baraquements des femmes (Sauber sein ist eine Pflicht), dans leur ironie mordante, sont comme la trace des insultes qu'on entend dire contre les autres sans qu'on puisse comprendre à quel point elles sont vraiment cruelles. On pourrait se promener là, écouter les rares cris des oiseaux qui sont revenus - on dit que quand le camp fonctionnait à plein régime, les fumées s'élevaient sans cesse et que les animaux avaient fui.

 

Que reste-t-il de l'enfer ?

 

Outre la distance qui fait imaginer la fatigue, quelques photos prises lors de l'extermination des juifs hongrois, en 1942, ont été installées à l'endroit même où elles ont été prises. Parmi elles, sous les arbres près des ruines d'un des crématoriums, il y a cette photo où des femmes et des enfants attendent - les chambres à gaz et les fours fonctionnent sans relâche mais ce n'est pas suffisant et il faut que ceux qui ont été choisis pour mourir attendent leur tour, attendent que les cadavres des autres aient été dégagés pour qu'on les fasse entrer dans la chambre. Parmi ces femmes et ces enfants, il y a une petite fille qui n'a pas plus de quatre ans et qui fixe de ses yeux sombres, très vastes, le photographe qui sait qu'elle va mourir. Elle ne peut pas le savoir mais ce regard profond semble interroger le sens de tous ces événements absurdes. La petite fille regarde l'homme qui la prend en photo, et lui regarde cette mort annoncée que l'appareil fixe, de telle sorte que ce regard nous interroge encore. Pourquoi ? Les femmes autour d'elles ont l'air fatiguées, mais on ne devine pas de panique particulière. Est-ce que ces gens savent qu'ils vont mourir ? Est-ce que, comme cette petite fille, ils lèvent seulement leurs yeux sur le monde sans rien y comprendre, emportés par des événements dans lesquels ils sont pris et ne peuvent pas lutter ? La petite fille ne sait pas qu'elle regarde sa propre mort et qu'elle devient un symbole, un témoin silencieux dont le regard accuse plus, à lui seul, que les rails de la voie ferrée ou la tour de garde de l'entrée. Les choses ne nous regardent pas, elles ne témoignent que de ce qu'on leur fait dire, à la fois support de mémoire et signe de sa fragilité. Le regard qui regarde l'homme le regarder, et qui nous regarde par delà le temps, arrête et interpèle, avec une profondeur muette qui glace le coeur.

 

Hypathie



30/08/2012
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