un musée dans la caverne

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Casse-noisette

 

 Ballet pour enfant, Casse-Noisette se caractérise par une si remarquable simplicité de l’intrigue qu’on pourrait douter qu’il y en ait une : dans l’acte I, Clara, une jeune fille au seuil de l’adolescence, aide à libérer d’un sort un jeune homme transformé en Casse-Noisette par le roi des souris. Dans la seconde partie, Clara et son prince libéré sont conviés à une fête au pays des confitures, où ils rencontrent la fée dragée et assistent à des divertissements donnés en leur honneur. A la fin, Clara s’éveille : tout n’était qu’un rêve.

Peu de raisons de s’enthousiasmer sur ce qui est ici en question puisqu’il s’agit d’un divertissement, de danse pure. Pourtant ce ballet n’est pas ennuyeux et reste visible même pour celui qui n’aurait pas totalement conservé son âme d’enfant.

 

La musique de Tchaïkovsky cisèle ici des valses pour flocons, des jeux de guerre – dans l’affrontement entre Casse-Noisette et le roi des souris – des réjouissances de Noël et les premiers émois d’une enfant qui devient adolescente. On pourrait écouter la musique les yeux fermés.

 

Noureev a proposé de ce ballet une version inquiétante, dans laquelle le rêve sucré prend des allures de cauchemar – dans l’acte II, Clara se trouve cernée par d’étranges personnages dont les masques disproportionnés et grotesques sont à l’image des membres de sa famille. Il n’est pas si sûr que le roi des souris ait perdu la bataille : la scène assume le caractère de confusion er d’indécision propres au rêve. Le « prince » n’est pas un jeune homme mais apparaît sous la figure du parrain de Clara, magicien énigmatique qui dans le rêve révèle la jeune fille encore cachée sous l’enfant – dans cette version, la fée dragée disparaît comme personnage autonome et est identifiée à Clara, qui danse le dernier pas de deux avec force et majesté telle une altière princesse. Il est donc ici question de l’inconscient, de désirs qui s’ignorent et se reconnaissent à peine, de troubles plutôt que de pimpantes certitudes enfantines.

 

Ce qui se retrouve ici, c’est l’ambiguïté propre aux contes, qu’on raconte aux enfants mais qui couvent des jeux d’adulte. Ainsi peut-on trouver de Casse-Noisette des représentations roses, dorées et souriantes porteuses d’une certaine idée de l’enfance comme émerveillement face à la magie d’un monde qui n’est pas perçu dans sa complexité – ou des versions qui soulignent l’éveil à la sensualité et les traînées d’angoisse qui peuvent traverser un esprit qui n’est pas « pur » et qui s’ignore. « Qu’est-ce que l’enfance ? » est au fond une question à laquelle on peut ainsi très diversement répondre : garçonnets turbulents et fillettes qui jouent à la poupée, dans le premier acte, renvoient à une vision stéréotypée de ce que garçons et filles sont censés être – non sans une certaine cruauté, quand le frère de Clara, par jalousie, tente de s’emparer du Casse-Noisette qui vient de lui être offert et le brise – il sera réparé. La seconde partie peut aussi bien servir l’image idyllique d’une enfance souriante et dénuée d’arrière-pensée (dans la version du Royal Ballet, par exemple) que plonger dans les arrière-fonds de la conscience qui n’identifie ni ses peurs ni ses désirs. Le ballet a ainsi à voir avec la façon dont les adultes se projettent l’enfance, qu’ils l’idéalisent comme une terre perdue d’innocence ou s’intéressent aux ombres cachées derrière les rires clairs.

 

Hypathie

   



20/01/2013
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