un musée dans la caverne

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Ce qu'on ignorait au sujet des Ménines de Vélasquez

L’histoire de ce tableau est extra-ordinaire, au sens littéral où elle sort de l’ordinaire. En effet, on nous présente souvent ce tableau comme l’un des premiers autoportraits de la Renaissance et c'est de là qu'il tirerait tout son intérêt. Or, comme le remarque fort justement Daniel Arasse dans Histoires de peintures, cette analyse est historiquement fausse ! En effet, contrairement à ce que dit Michel Foucault lui-même dans Les Mots et les choses, au chapitre consacré aux Ménines, où il interprète tout en fonction du regard du peintre qui  aurait agencé l'ensemble des éléments de ce dernier en fonction de son unique présence, l’intention de Vélasquez n’était pas de se peindre en train de peindre le roi et la reine d’Espagne dont le miroir reflète la silhouette. Il s'agissait bien plutôt de mettre à l’honneur la fille du roi et de la reine d’Espagne, Marianna, en en faisant une figure centrale de ce tableau, autour de laquelle gravitent ses suivantes (les ménines), une naine servant de repoussoir, un chien et un enfant, ses parents siégeant au-dessus d'elle, comme pour mieux figurer l'autorité royale.

Or, il manque un élément clé pour comprendre que l’intention de Vélasquez n’était pas, du moins au départ, de faire une mise en abyme de son activité d'artiste, en se représentant en train de représenter un modèle ; c’est que la conscience même du peintre ne s’exprime pas à travers ce détail, certes important, mais moins significatif au regard d’un élément crucial découvert en 2005 : Vélasquez ne figurait absolument pas dans le tableau au départ – c’est ce que les nouvelles techniques de radiographie nous ont permis de découvrir – mais à sa place, se tenait un petit garçon tendant à l’infante, un sceptre royal, afin de répondre à une commande du roi d’Espagne. Seulement, entre la commande et le produit fini, le roi et la reine d’Espagne ont eu un fils ; par conséquent, avoir un tableau mettant à l’honneur leur fille au lieu de leur fils, futur héritier du trône, aurait été un affront à leur descendance. Aussi, le roi d’Espagne s’est-il empressé de décommander le tableau auprès de Vélasquez ; seulement, le mal était déjà fait. Vélasquez non-désireux de se débarrasser de son chef d’œuvre, le recycla en grattant la partie gauche du tableau, afin de se substituer à la figure du petit garçon au sceptre, ajoutant également une nouvelle suivante au service de Marianna.

Le plus important étant que Daniel Arasse, historien de l’art et non philosophe à l’instar de Michel Foucault, n’entend pas réduire à néant l’interprétation de ce dernier. C’est que, comme le soutient Wittgenstein dans ses Cahiers bleus, plusieurs visions du monde peuvent cohabiter ensemble, et ce n’est donc pas parce que, comme le dit si bien Daniel Arasse, son interprétation est « historiquement fausse », qu’elle n’a aucun intérêt spéculatif. Bien au contraire, c’est précisément parce qu’elle est fausse, qu’elle dépend d’éléments infondés historiquement, qu’elle donne à voir une autre compréhension du tableau qui ne se structure plus autour de Marianna, mais autour de l’activité du peintre en train de contempler le roi et la reine, tout comme il pourrait nous contempler, nous spectateur, pour nous peindre !

La merveilleuse leçon à tirer de cette histoire de peinture, c’est que Daniel Arasse nous présente la vérité historique de cette œuvre en se fondant sur des preuves matérielles, tandis que Michel Foucault se place du seul point de vue du spectateur qui aurait la curiosité de comprendre ce tableau, pour lui-même, dans son agencement unique d’éléments divers. D’un côté, Daniel Arasse analyse donc ce tableau en historien de l’art en quête de vérité, tandis que d’un autre côté, Michel Foucault aborde ce tableau en se fiant à son esprit d’analyse, comme on pourrait se fier à une intuition ou à une piste de réflexion.

Or, les deux interprétations semblent se valoir, non point sur le plan de la vérité, mais sur le plan de l’intérêt philosophique, au sens où elles nous donnent toutes deux accès à une vision différente du tableau, mais non moins pertinente du point de vue du sens. Si l'on conjugue les deux interprétations, alors on obtient la superposition de deux lectures irréductibles et riches de signification, pour aborder ce tableau avec tous les éléments contextuels nécessaires à sa compréhension.                                                          

Lolita Folliot



18/02/2015
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