un musée dans la caverne

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Emma ou les mésaventures du désir (Madame Bovary, Flaubert)

Madame Bovary, personnage éponyme du roman de Flaubert, est un cas qui permet d'illustrer assez facilement ce qu'on veut dire quand on caractérise le concept de désir par l'illusion, à travers un mouvement de double idéalisation.

D'une part, le désir est idéalisation de l'objet du désir : on ne désire pas quelque chose ou quelqu'un pour ce qu'il est mais pour ce qu'on s'imagine pouvoir y trouver de délices. L'imagination pare l'objet du désir de qualités qu'il n'a pas mais qu'on espère trouver en lui, comme réponse imaginaire à ses propres espoirs de bonheur : voilà pourquoi il est tel qu'on l'avait rêvé, puisque c'est le rêve qui crée le désir et le maintient vivace.

D'autre part, le désir est idéalisation du sujet désirant par lui-même : à travers le désir, le sujet se renvoie de lui-même une image valorisée qui l'arrache à la médiocrité ambiante et lui donne un statut d'exception.

Ainsi, après s'être donnée à Rodolphe, Madame Bovary se répète : "J'ai un amant ! un amant !" et cette idée est délectable. Autrement dit, tout le plaisir de la situation tient à l'idée qu'elle s'en fait : elle va pouvoir vivre la vie des héroines dont elle a rêvé dans les livres, son existence va correspondre à la représentation qu'elle s'est faite de l'amour, et c'est cette idée, plus que Rodolphe, qui la séduit. Cette phrase qu'elle se répète ne parle d'ailleurs que d'elle : si elle a un amant, c'est qu'elle est une maîtresse - elle sort de la norme, elle se définit autrement, et c'est aussi cette nouvelle définition d'elle-même qui la charme.

De fait, elle se trouve changée : "en s'apercevant dans la glace, elle s'étonna de son visage. Jamais elle n'avait eu les yeux si grands, si noirs, ni d'une telle profondeur. Quelque chose de subtil répandu sur sa personne la transfigurait". Elle se trouve belle, elle se découvre autre, elle s'admire.

En bref, ce qu'elle aime ce n'est pas Rodolphe mais une idée de l'amour qui la renvoie à une idée d'elle-même.

 

Le problème est que les rêves ne résistent pas au réel : l'imposture finit par être démasquée, les illusions se brisent. Ainsi, Rodolphe l'abandonne au moment même où elle s'apprête à vivre le comble de la passion romanesque - s'enfuir avec lui. Il s'enfuit seul. Les dettes qu'Emma contracte et ne pourra rembourser sont le symbole du réel comme ce qui résiste au rêve et ce qui s'impose à l'individu - des conséquences qu'il aura à affronter, et dans le cas d'Emma qui la mènent à sa perte.

 

Hypathie



09/07/2012
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