un musée dans la caverne

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Kirikou et la sorcière : un conte philosophique.

 

            Dans le film d’animation intitulé Kirikou et la sorcière, le personnage éponyme incarne un jeune enfant curieux de comprendre l’existence humaine, n’étant plus un infans[1], mais pas encore un adulte. Figure particulière du métaphysicien, Kirikou s’interroge sur le sens de la vie, avec pour leitmotiv la question : « pourquoi…? ». Le métaphysicien ne cherche pas à résoudre le problème des moyens, mais vient poser la question des fins. Or, la finalité de l’existence humaine, Kirikou ne pourra la trouver qu’au terme d’un parcours initiatique : en ce sens, la montée des marches, au fur et à mesure des réponses données à ses questions, symbolise à merveille l’ascension vers les Idées. Il s’agit toujours d’une tension vers une conception du monde qui ne se prétend pas solution scientifique à un problème donné, mais simple réponse possible aux questions existentielles concernant le sens de notre présence sur Terre, la nécessité de devenir ce que nous sommes, ou encore, l’importance de nous préparer à la mort. Car, si nous n’avons pas choisi notre situation, à savoir le lieu et le temps de notre venue au monde, ainsi que notre condition d’être mortel, nous sommes pourtant « condamnés à être libre » selon la célèbre formule sartrienne[2], et avons partant à assumer le lot de notre existence. Dans cette existence semée d’embûches, Kirikou essaiera, quant à lui, d’être le plus juste possible : il subira l’irritation de la sorcière Karaba, sans jamais lui tenir rancune de son comportement, pourtant exécrable. Mais Kirikou possède déjà une certaine sagesse qui lui permet de prendre de la distance par rapport à ce qui lui arrive ; cette sagesse, c’est celle du stoïcien Epictète[3], qui considère que si nous ne sommes pas maîtres des événements qui se produisent, nous avons pourtant une emprise sur les représentations que nous nous faisons de ces événements. Si donc nous ne pouvons pas maîtriser ce qui ne dépend pas de nous comme la fortune[4], la mort, la richesse, la réputation, etc., nous devons néanmoins apprendre à maîtriser ce qui dépend de nous, à savoir, notre façon de réagir face aux incidents de la vie et notre jugement porter à leur encontre. Kirikou répond donc à cette exigence de maîtrise de soi qui implique de ne jamais considérer l’autre comme responsable de ses propres malheurs, mais d’accepter ce qui arrive tel que cela arrive, que ce soit en bien ou en mal. Kirikou va même plus loin, puisqu’il fait preuve d’une vertu hautement valorisée par les stoïciens, à savoir le courage, en se confrontant à la passion irascible de Karaba ; il soulage alors son mal en lui arrachant l’épine qui était plantée dans son dos, provoquant ainsi sa métamorphose salvatrice. Cette épreuve faisant office de rite initiatique, transforme Kirikou lui-même en homme, comme si son esprit trop précoce avait toujours été enfermé dans un corps d’enfant, rappelant la conception platonicienne de l’âme enchaînée à un « corps-tombeau »[5] dans lequel l’esprit ne peut s’élever jusqu’au ciel des Idées[6]. Kirikou parvient donc à s’accomplir en tant qu’homme en s’exposant à une mort possible, prouvant par là que si sa vie biologique ne tient plus qu’à un fil, son existence d’homme, elle, se trouve justifiée. Rejouant de façon effective la dialectique symbolique du maître et de l’esclave[7], Kirikou met en jeu sa propre vie pour conquérir sa liberté et être enfin reconnu « en tant que conscience de soi indépendante », selon les mots de Hegel. Le passage à l’âge adulte se réalise donc grâce à cet affrontement final au terme duquel Kirikou devient véritablement ce qu’il était, c’est-à-dire une conscience authentique de soi.

Lolita



[1]              Infans : en latin, « celui qui ne parle pas ».

[2]              Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Genève, éd. Nagel et Briquet, 1946, p. 38.

[3]              Epictète, Manuel, Paris, éd. GF Flammarion, 1997, p. 63.

[4]              Fortune signifie ici destin.

[5]              Platon fait du corps le tombeau de l’âme à plusieurs reprises : Gorgias 493a, Cratyle 400c, Phèdre 250c.

[6]              Platon développe sa théorie des Idées dans nombre de ses dialogues : Phédon, Phèdre, République, Théétète.

[7]              Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La phénoménologie de l’esprit, Tome I, Paris, éd. Aubier, 1978, p. 159.



17/10/2012
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