un musée dans la caverne

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La Bayadère

 


 

 

Dans une Inde de pacotille, Solor aime Nikiya, danseuse sacrée convoitée par le grand prêtre, dont elle refuse les avances. Nikiya aime Solor, mais le rajah destine ce guerrier vaillant à sa propre fille, Gamzatti. Apprenant l'idylle secrète de la bouche du prêtre jaloux, le rajah et sa fille decident d'éliminer Nikiya : celle-ci se fait piquer par un serpent volontairement placé dans une corbeille qu'elle porte alors qu'elle danse pendant la cérémonie du mariage et, voyant que Solor va épouser Gamzatti, elle refuse un antidote au venin et s'écroule.

 

Solor, désespéré, fume de l'opium et retrouve dans son sommeil l'ombre de celle qu'il aimait au royaume des morts, où elle lui pardonne.

 

Ce ballet en trois actes est le dernier à avoir été recréé par Rudolf Noureev au palais Garnier avant sa mort. Noureev a été un très grand danseur et chorégraphe, transfuge de l'URSS, qui a porté de l'autre côté du rideau de fer une partie du répertoire donné en Russie. La danse dite classique est née en France, mais son répertoire s'est en grande partie constitué en Russie au XIXème siècle. Une autre version a été remontée à l'ouest par une autre danseuse échappée d'URSS, Natalia Makarova : dans celle-ci, il existe un quatrième acte, dans lequel les méchants sont punis et les bons réunis au royaume des morts, une fois que le temple s'est écroulé sur tout le monde.

 

La première difficulté qu'on rencontre devant un ballet classique, c'est la compréhension de l'histoire qui nous est racontée à travers des pas, à travers aussi des pantomimes (autrement dit des moments joués plus que dansés, qui utilisent des gestes codifiés pour exprimer une idée ou une émotion). La connaissance du livret, c'est-à-dire du déroulement de l'action permet de se faire une idée de l'histoire, de connaître le nom des personnages... puisque bien sûr aucune parole n'est échangée. Il est ainsi plus simple de suivre la narration de l'histoire qui s'incarne dans les pas et qui est interprétée - pas seulement dansée - par les artistes.

 

La seconde difficulté tient au langage chorégraphique lui-même, qui quoique d'une grande richesse, peut paraitre obscur à celui qui ne le parle pas. Le geste peut avoir une beauté par lui-même mais doit être au service d'une histoire, donc d'une prise de position de la part du danseur. Solor est-il marié complètement malgré lui à Gamzatti, ou bien se laisse-t-il faire ? Gamzatti est-elle amoureuse de celui qu'elle épouse, ou bien ne fait-elle que réclamer son dû en sa qualité de princesse ? Nikiya meurt-elle désespérée ou folle de rage ? Sans que les pas changent, ce qui se donne à voir peut être très différent d'un danseur à l'autre. Le pire serait que les pas soient simplement exécutés de façon virtuose, un peu comme si on était au cirque et que le but du jeu était d'applaudir des acrobaties. Le danseur est bien un peu un acrobate, au sens où ce qu'il exécute présente une difficulté réelle et qu'il doit témoigner de sa maîtrise. Mais ce qui fait l'artiste, c'est sa capacité à utiliser un langage technique pour le porter plus haut - pour dégager un sens, décrire quelque chose de notre humanité.

 

Il se peut que Noureev n'ait pas remonté le quatrième acte pour des raisons de temps, sa santé étant très mauvaise au moment où il s'est lancé dans cette oeuvre. Ceci dit, on peut aussi y voir un choix qui change le sens du ballet. Finalement, considérer que les amoureux se retrouvent au-delà de la mort alors que les méchants sont écartés est une fin assez conventionnelle - l'amour plus fort que la mort, le bien et le mal, tout ceci ressemble à une vision caricaturale et puérile du réel. La version de Noureev est, sous un certain angle, moins sombre, puisque tout le monde ne finit pas par mourir sur scène. Mais sous un autre point de vue, elle est peut-être plus tragique, moins convenue et plus profonde : rien ne nous dit que les amoureux se retrouvent au-delà de la mort. Les circonstances de la vie peuvent réellement séparer des gens qui s'aiment, des drames irréparables peuvent réellement survenir, l'amour ne triomphe pas de tout. Ce qui reste à Solor, c'est le pardon de celle qu'il a aimée, mais elle-même est perdue pour lui. C'est une représentation de l'amour qui n'essaie pas à tout prix de nous dire que tout, d'une façon ou d'une autre, rentre dans l'ordre. Ce que nous faisons de nos émotions - se laisser aller à la jalousie, à la vengeance, ou pardonner - peut dépendre de nous, mais la vie elle-même, le déroulement des événements ne suivent pas l'ordre de nos désirs.

 

Hypathie

 

En photographie : Isabelle Guérin



27/08/2012
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