un musée dans la caverne

un musée dans la caverne

La Route, Cormac Mac Carthy

Un père et son fils cheminent dans la cendre, sur une route qui serpente dans un monde sans oiseau où tout est mort, sinon les humains qui survivent, pour la plus grande part d'entre eux, en se dévorant les uns les autres, en décapitant et en passant à la broche les nouveaux-nés.

Les Etats n'existent plus, les bibliothèques ont brûlé, des sectes cannibales sillonnent la terre que même le soleil n'honore plus - mais le père et son fils jamais ne mangeront d'un autre homme. Ils survivent en recherchant, dans les maisons dévastées, des boites de conserve que d'autres n'auraient pas déjà pillées. Ils marchent vers le sud comme vers un monde meilleur, à la recherche d'autres "gentils", qui comme eux "portent le feu". 

Sur cette route sans espoir, ils rencontrent la chance - une cache, quelques pommes ridées, un bateau échoué non loin de la grève que d'autres n'ont pas visité avant eux. Ils rencontrent la convoitise, les hommes réduits en esclavage pour mieux les équarir par la suite tels les anciens porcs, la mort qu'il faut donner pour sauver sa peau. Ils rencontrent ceux qu'on ne peut pas sauver si l'on veut se sauver soi-même. 

La mère est morte en prédisant au père que son fils serait son seul lien à la vie. Est-il égoïste de préserver la vie d'un être aimé dans un monde sans espoir, parce que ce lien seul continue de donner un sens au matin pâle ? Tous deux cheminent sur une route sombre vers une hypothétique lumière et vers l'espoir que la mer sera bleue encore, quand toutes les couleurs ont sombré.

Pourquoi vivre ? Parce qu'il y a l'enfant, et que la question du père est de savoir s'il pourra ou non supporter de le tenir mort dans ses bras.

Pourquoi ne pas abuser d'autrui ? Parce qu'il y a l'enfant, qui incarne une bonté spontanée, sans malice, comme s'il était né dans un monde qui n'est pas fait pour lui mais où, d'une façon ou d'une autre, il porte bien le feu d'une solidarité perdue. Parce que le père et son fils sont des "gentils", et que les gentils n'abusent pas d'autrui - quand bien même ils sont si peu nombreux et que la mort semble proche. Ce qui nous sépare du néant, ce sont des promesses - qu'il faut tenir une fois données.

Le roman pose la question métaphysique de Dieu en l'éradiquant - car rien ne le donne à voir ni même à espérer sur cette terre projetée dans un enfer sans retour, qui ne cesse même de s'approfondir. Et pourtant il est une sorte de providence, car tout finit à la fois mal et bien. Certains êtres continuent de porter leur existence comme si elle devait coûte que coûte avoir un sens, contre l'abandon de l'humanité par elle-même, contre leur intérêt, contre une forme de raison. 

En ce sens le livre pose la question de ce qui fait de nous des hommes, une fois que la culture - et la nature - a sombré. La réponse tient pour partie dans les objets : on se parle peu, dans ce monde où il est si peu à se dire, mais toute l'énergie passe dans les manipulations nécessaires à la survie - défaire une bäche, réparer la roue d'un caddie, bien refermer une bouteille, trouver de l'huile, faire un feu. C'est leur rapport aux objets qui nous apprend ce que traversent les personnages, que l'on suit de l'extérieur, comme des énigmes ahuries marchant dans cette nuit spectrale.

Est-il même une raison ? C'est dans une sorte de foi que l'existence se justifie elle-même et se passe en témoin d'une génération à l'autre. L'existence est ce qu'on lègue en la protégeant, envers et contre tout, y compris contre toute logique.

Ainsi ce roman sombre n'est-il pas une oeuvre désespérée, dans sa crudité même. A la question de savoir ce qu'il reste lorsqu'il ne reste rien, on peut tenter de répondre qu'il demeure possible, par delà l'absurde, de préserver la vie d'un être aimé à tout prix, pour tenter de le porter vers la possibilité, jamais fermée, d'un horizon plus serein au prochain tournant de la route. Mais ce n'est qu'un prétexte : lorsqu'il ne reste rien, ce qui reste c'est la route que nous parcourons  - ensemble.

 

Hypathie



30/08/2013
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