un musée dans la caverne

un musée dans la caverne

Le Cahier de Maya, Isabel Allende

Maya Vidal n'a pas encore vingt ans mais son passé pèse suffisamment lourd pour avoir mis sa vie en danger : sa grand-mère décide de la cacher à Chiloë, une île perdue au large du Chili, chez un vieil ami dont Maya ignore tout, Manuel. Dans ce lieu isolé, Maya a tout le loisir de réfléchir à son parcours, à elle-même, aux secrets de sa famille et à ceux de l'homme qui l'héberge, dont la maison est dénuée de portes et les nuits pleines de gémissements.

 

Le livre se déploie dès lors comme une réflexion sur l'addiction, à travers le passé de Maya, et sur les disparitions sous la dictature de Pinochet, auxquelles renvoient in fine les silences de la grand-mère de Maya et ceux de Manuel. L'itinéraire de Maya est celui d'une junkie, et en ce sens il est l'exploration d'une déchéance, d'un abandon de soi qui la mènent jusqu'à la prostitution. Comment devient-on un être qui dérive et peut-on, dès lors, cesser de dériver ? Le roman ne peut répondre à cette question de façon naïvement optimiste - Maya n'émerge de son propre naufrage que parce qu'elle est isolée, loin du monde, dans un lieu qui la rattache à une authenticité où elle retrouve les fils de l'histoire de sa propre famille, mais il ne s'agit pas d'une rédemption au sens où l'addiction guette, toujours, et n'est jamais conquise de façon définitive. 

 

Ce qui joint l'histoire de Maya et celle de Manuel, au-delà des circonstances, c'est la question de la guérison. Maya s'est abandonnée aux drogues parce qu'elle éprouve un vertige d'abandon, de solitude, dans lequel elle s'est enfermée jusqu'à se couper de ceux qui l'aimaient. Manuel vit seul dans une île perdue parce que les cauchemards de son passé font écran entre la vie et lui, entre lui et les autres. Dans les deux cas, il s'agit de renouer un fil qui s'est rompu en trouvant une parole, un lieu, un réconfort qui permettent d'échapper à l'aspiration par le pire pour revenir vers un présent qui ne peut se vivre qu'à condition d'affronter, et d'intégrer dans une mémoire collective, un passé qui écrase l'individu parce qu'il est seul avec des souvenirs qui tendent à s'oublier d'eux-mêmes. Comment assumer ce qui a été pour que ce qui a été puisse laisser le présent éclore, tel est l'enjeu.

 

On ne s'ennuie jamais chez Isabel Allende, qui bouscule toujours ses personnages à travers les chaos de parcours où la douleur échoue à faire obstacle à un puissant enthousiasme pour la vie. L'existence est impossible mais on en renaît toujours : ce livre, comme L'Ile sous la mer (qui traitait de l'esclavage), a à voir avec la promesse qu'on peut - ou qu'on doit - survivre à tout et qu'il n'est donc pas utile de se laisser gagner par le désespoir, si sombres soient les expériences où les personnages se perdent avant de trouver une route qui les porte plus loin. Le désespoir ne déporte l'individu que quand il commence à y croire lui-même, à y adhérer comme à un destin. A l'inverse, le roman explore des aspects sombres, intenables peut-être - le deuil, le viol, l'esclavage sexuel, la torture - sans laisser perdre de vue à son lecteur la saveur de la vie, la force des liens, le bonheur d'une aube.

 

Hypathie

 

"Ma grand-mère parlait du Chili avec une voix d'amoureuse, mais elle ne disait rien des gens ni de l'histoire, comme si c'était un territoire vierge, inhabité, né hier d'un soupir tellurique, immuable, arrêté dans le temps et l'espace."

Le Cahier de Maya, Grasset, 2013.

L'Ile sous la mer, Grasset, 2011.



29/06/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres