un musée dans la caverne

un musée dans la caverne

Le jardin de Berthe

 

Berthe Morisot est un peintre français qui a contribué à toutes les expositions impressionnistes en marge des salons officiels - une exposition que les peintres dédaignés par la critique et les artistes officiels de l'époque finançaient eux-mêmes. Elle est moins célèbre que ses amis : Degas, Manet, Monet, Renoir et le poète Stéphane Mallarmé, qui estimaient tous son oeuvre. Son travail a parfois été méprisé non seulement parce qu'elle n'a pas suivi les codes esthétiques dominants de son époque (elle a choisi l'avant garde) mais aussi parce qu'elle était une femme.

Etre une femme peintre est compliqué au XIXème siècle : par sa naissance, Berthe était plutôt destinée à étudier le dessin comme un art d'agrément - on considérait que cela désennuyait les jeunes filles mais on n'attendait pas d'elles qu'elles fassent une oeuvre d'artiste. Elle aurait dû ensuite se marier, faire des enfants et garder la peinture comme passe-temps - ou y renoncer. Cela a d'ailleurs été le choix de sa soeur aînée.

Berthe Morisot a longtemps refusé de se marier - elle a fini par épouser, très tardivement pour l'époque, le frère de Manet, qui l'a encouragée à peindre et s'est chargé de mettre en valeur ses tableaux lors des expositions. Il était rare alors qu'un mari pousse sa femme dans la lumière et travaille dans l'ombre à ce qu'elle puisse réaliser son ambition. Car l'ambition de Berthe a été d'être peintre, et pas seulement une femme qui peint. Elle s'est vouée entièrement à la peinture.

Comme elle a fréquenté de très grands peintres de son époque - Manet et Monet, pour ne citer que les plus connus - la critique a souvent considéré qu'elle était sous leur influence, qu'elle avait fait une petite oeuvre dans leur ombre. Pourtant ce jugement reflète en partie le préjugé qui veut que les femmes soient influençables et n'aient pas de génie par elles-mêmes.

Dans les faits, l'influence a sans doute été réciproque. C'est elle qui la première a peint un nymphéa, qui ensuite est devenu un des motifs les plus célèbres de l'oeuvre de Monet. Dans certains de ces tableaux, elle a presque poussé jusqu'à l'abstraction. Il est vrai que la plupart de ses oeuvres ont été influencées par sa propre vie - elle a beaucoup peint sa soeur, puis sa fille, ce qui fait qu'on lui a parfois reproché de faire une peinture féminine, autrement dit une peinture inférieure. Cette critique n'a pourtant pas grand sens, car il est particulièrement net que pour les impressionnistes ce n'est pas ce qu'on peint qui compte, mais la façon dont on le peint. Elle-même se donnait pour tâche de fixer sur la toile quelque chose de ce qui passe - d'éterniser le moment qui file comme l'eau entre les doigts. Dans les tableaux qu'elle a faits de son jardin, les roses semblent se balancer dans le vent, comme si l'instant avait été suspendu.

La reconnaissance d'un artiste, y compris dans l'histoire de l'art, est un phénomène complexe et fragile. Les préjugés peuvent y faire obstacle, et pas seulement du vivant du peintre ! Les circonstances jouent aussi un rôle : par exemple, l'impressionnisme a commencé à avoir une forme de reconnaissance en France quand le peintre Caillebotte a légué à l'Etat français - qui en a au départ été bien embarrassé - sa collection de peinture, qui comprenait des oeuvres de ses contemporains. Cette collection est entrée dans les musées nationaux, mais elle ne comportait pas d'oeuvre de Berthe Morisot : c'est par des donations plus tardives que certains de ses tableaux sont revenus à l'Etat.

 

Pendant des siècles, il a été dit que les femmes n'avaient pas la capacité de créer des oeuvres fortes, et peu d'entre elles ont une place dans l'histoire de l'art - mais l'exemple de Berthe Morisot montre bien la difficulté pour une femme de s'imposer dans un milieu dont les conventions sociales les écartent.

 

Hypathie



10/07/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres