un musée dans la caverne

un musée dans la caverne

Le Lac des cygnes

 

 

Un des classiques du ballet classique, le lac des cygnes raconte l’histoire de la princesse Odette, changée en cygne blanc par une malédiction : seul l’amour d’un prince peut la libérer. Le prince Siegfried tombe amoureux d’elle et lui jure un amour éternel, mais le magicien qui a ensorcelé la jeune femme lui tend un piège : il lui fait rencontrer sa fille, Odile, changée en double maléfique d’Odette - c'est le cygne noir. Croyant avoir affaire à Odette, Siegfried la demande en mariage – la malédiction devient alors irréversible, puisqu’il a trompé Odette sans le savoir. Celle-ci lui pardonne, mais se tue – dans une autre version, le prince combat le magicien et se fait tuer. Il existe une version qui finit bien (le magicien est tué, les amoureux réunis) mais la représentation d’une fin tragique est plus habituelle. Elle convient d'ailleurs mieux au contexte romantique, en mettant en scène le caractère inaccessible de l'idéal, le caractère irréalisable du désir qui ne peut s'accomplir dans le monde réel. Le rôle d’Odette/Odile est toujours interprété par la même danseuse, comme s'il s'agissait des deux faces d'un même être, à la fois opposées et inséparables.

 

L’histoire n’est pas complètement satisfaisante, il faut en convenir. Elle comporte des aspects incompréhensibles : pourquoi considérer que Siegfried a trompé Odette alors que c'est à elle qu'il croit s'adresser ? Il existe au moins deux réécritures qui tentent d’en porter le sens plus loin.

 

Quand Rudolf Noureev remonte le ballet, il fait du prince le personnage central, ce qui est une manière de sortir le danseur masculin du rôle de faire-valoir de la ballerine principale. Dans le ballet classique, les hommes ne sont en général pas très mis en valeur : ils accompagnent la ballerine lors du pas de deux, ils font de temps en temps quelques enchainements de sauts spectaculaires. Mais bon la star, d’habitude, c’est la fille.

Dans la version de Noureev, le prince apparaît rêveur, en retrait par rapport à son destin de prince. Il n’est pas sûr qu’Odette, la femme-oiseau, existe vraiment – elle pourrait n’être qu’un des rêves du jeune homme, une image de l’idéal. Lui-même a un lien étrange et puissant avec son précepteur, personnage ambigu – c’est d’ailleurs le même danseur qui interprète le précepteur et le magicien. Le ballet comporte donc deux personnages doubles : Odette/Odile et le précepteur/magicien, ce qui permet de brouiller la frontière entre rêve et réalité : nos rêves utilisent souvent des figures connues, déplacées hors de leur contexte – on ne sait pas bien pourquoi on a rêvé d’untel ou d’untel. Qu'est-ce qui est réel ? Qu'est-ce qui ne l’est pas ? Odette, le magicien sont-ils des figures de l’inconscient du prince ? Noureev nous fait regarder du côté de la psychanalyse : on quitte le monde des contes et légendes pour observer un esprit qui sombre dans la folie, qui est vaincu par ses cauchemars. On ne comprend pas bien tout mais c’est ce qui compte – après tout, nos rêves aussi ont toujours une dimension incompréhensible, vaguement incohérente. C'est ce qui les rend fascinants.

 

Matthew Bourne propose une version qui en un sens prolonge et explicite celle de Noureev, puisqu’on y suit l’itinéraire d’un prince malaimé par sa mère, malheureux dans sa condition de prince, qui rencontre avec le cygne une créature qui le sauve un instant de son désespoir - avant la chute. La différence, néanmoins, est que les cygnes sont ici dansés par des hommes. L’attirance du prince pour le cygne joue donc en partie sur le registre de l’attirance homosexuelle refoulée (le prince a une girlfriend), même si le ballet peut se lire aussi selon d'autres interprétations, qui s'y superposent : en un sens, le cygne blanc représente la part de l’esprit du prince qui est libre, à laquelle il ne pourra être réuni que dans la mort. Ce cygne est aussi l’amour pur, donné de façon gratuite, qui s’oppose à l’amour maladroit de la girlfriend vulgaire (une fille payée par le précepteur du prince ; le fait qu'elle ne soit pas de milieu royal augmente le mépris de la reine pour son fils), à l’amour froid de la mère (qui éclate en sanglots, dans la dernière scène, sur le cadavre de son fils, lui donnant dans la mort un signe d’affection qu’elle lui a toujours refusé dans la vie), et au magnétisme sexuel incarné par le « cygne noir », qui ici prend la forme d’un beau gosse moulé dans un pantalon de cuir qui séduit toute la cour et fait basculer le prince dans la folie. Les cygnes apparaissent ici comme des projections des pensées du prince - projections de ses aspirations, de ses désirs, de ses angoisses.

 

Il existe ainsi des réécritures chorégraphiques, qui proposent une relecture de l'oeuvre, de la partition, et qui sont à la fois l'expression des choix créatifs du chorégraphe et d'un contexte culturel - au XIXème siècle, le désir inaccessible, l'individu séparé de ses rêves sont symbolisés par la romance impossible entre le prince et la femme-oiseau, au XXème il est possible de représenter de façon plus explicite une charge érotique plus affirmée. Le langage d'une oeuvre emprunte nécessairement à son époque.

 

Hypathie

 

En photographie : Isabelle Guérin



15/07/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres