un musée dans la caverne

un musée dans la caverne

Regarder par la fenêtre ou cheminer dans les bambous

Dans la peinture occidentale, traditionnellement, le tableau est conçu comme une fenêtre, d'où le plus souvent sa forme rectangulaire. Il s'agit alors de construire l'espace sur lequel ouvre cette fenêtre, de créer l'illusion d'une profondeur. La perspective fait partie des moyens mis en oeuvre pour rendre une impression de réel, pour dégager la vue au travers de la fenêtre du tableau comme si on était réellement en face de la scène qu'on est en train d'observer.

 

Dans la peinture traditionnelle chinoise, la perspective n'existe pas. Il ne s'agit pas de créer une illusion de réel, plutôt de rendre compte d'une atmosphère, d'un ressenti. Le spectateur n'est pas censé faire face au paysage comme s'il le regardait de loin, au contraire la peinture doit inviter à s'y promener, un peu comme dans la nouvelle de Marguerite Yourcenar dans laquelle un vieux peintre, Wang Fo, s'enfuit du palais impérial en peignant une toile dans laquelle il disparait : plus il peint le lac, plus la salle se remplit d'eau, et il part en barque, échappant à l'empereur qui l'a condamné à mort.

Dans ce contexte, le peintre doit retranscrire un équilibre entre les différents éléments (eau-terre-feu-bois-métal) qui dans la cosmologie chinoise composent le monde. Il ne cherche pas nécessairement à couvrir toute la toile : il ne va pas peindre le ciel avec de la couleur, par exemple, mais seulement laisser libre une partie du rouleau (les peintures s'enroulent et se déroulent) de telle sorte que ce vide, par contraste avec le plein de la montagne par exemple, va figurer le ciel. Ce vide n'est donc pas une marque d'inachèvement, il fait pleinement partie du tableau.

Il s'agit de créer un équilibre entre des contraires (le plein et le vide, le sombre et le clair, le lourd et le fluide, l'inerte et le mouvement). Ainsi, la masse de la montagne s'anime grâce à la cascade, l'eau du bassin comporte un poisson, la branche de l'arbre accueille un oiseau - apparaît toujours un élément dynamique, un élément contrastant, qui parfois prend la forme d'un minuscule marcheur dans une forêt de pins ou d'un temple accroché à la paroi d'un pic vertigineux... Cette conception esthétique se comprend en lien avec deux concepts fondamentaux de la pensée chinoise : le yin et le yang, qui permettent de décrire toute chose, comme deux opposés qui en fait ne sont jamais séparés l'un de l'autre et s'engendrent réciproquement. Dès lors tout élément ne prend son sens que dans sa relation avec les autres, dans la façon dont il s'insère dans un tout. Il s'agit en quelque sorte de créer une harmonie qui ne soit pas statique, car tout équilibre est toujours instable, rien ne demeure identique jamais longtemps.

Au bout du compte, l'important est que l'esprit voyage dans le tableau, un peu comme si une peinture de paysage était un jardin ou un espace de nature qu'on pouvait transporter partout avec soi - même en ville.

 

La peinture renvoie ainsi à une vision du monde qui trouve son origine dans des concepts culturels : on ne voit pas le monde simplement avec ses yeux, on le regarde à travers le filtre de nos idées, et ces idées s'infusent en nous à travers le langage, sans même que nous nous en rendions compte.

 

Hypathie



08/07/2012
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